Communications
Lelièvre Samuel, « L’articulation ricœurienne entre herméneutique et phénoménologie : héritage et perspectives [Ricoeur’s articulation between hermeneutics and phenomenology: legacy and prospects] », conférence internationale Ricoeur 2020, Katholieke Universiteit Leuven (Belgique), 21 novembre 2020.
Résumé: L’un des héritages de la philosophie ricœurienne est son approche de l’herméneutique à partir d’un cheminement philosophique où la phénoménologie occupe une place déterminante. Paul Ricœur ne s’est pas rattaché de manière directe et immédiate à une tradition herméneutique telle qu’issue du contexte germanophone mais a élaboré une approche qui lui est propre avant de la confronter à cette même tradition. Ainsi pourrait-on considérer qu’un renouvellement est apparu, inspirant des approches contemporaines. Dans « Phénoménologie et herméneutique en venant de Husserl » (1975), Ricœur explique comment il cherche à articuler phénoménologie et herméneutique. Faisant référence de manière critique à ce mode d’articulation, Claude Romano veut montrer, dans Au cœur de la raison, la phénoménologie (2010), qu’on ne doit considérer ni une forme de correction herméneutique de la phénoménologie ni la nécessité d’une greffe entre les deux mais une phénoménologie en tant qu’herméneutique et inversement. Sans contester de front le positionnement et la reformulation de Romano, il me semble que cette critique manque plusieurs aspects de l’approche ricœurienne. L’examen d’un échange indirect entre Ricœur et Romano peut prendre en compte deux problématiques et un horizon commun : l’un vise à préparer le terrain d’une herméneutique se caractérisant par une reconnexion d’une herméneutique post-heideggérienne avec une herméneutique épistémologique et une ouverture aux sciences humaines et sociales ; l’autre s’attache à mettre au jour les visées d’une phénoménologie renouvelée ; les deux cherchent malgré tout à définir la nature de cette relation entre phénoménologie et herméneutique.
Abstract: One of the legacies of Ricoeur’s philosophy is his approach to hermeneutics from a philosophical path in which phenomenology remains central. Paul Ricoeur did not directly or immediately link his approach to a hermeneutical tradition per se; he rather develops his own approach before progressively confronting it with this tradition. One could consider that a renewal emerged this way, inspiring other approaches. In “Phenomenology and Hermeneutics from Husserl” (1975), Ricoeur is explaining how he seeks to rearticulate the link between phenomenology and hermeneutics. Referring critically to this articulation, Claude Romano argues, in Au coeur de la raison, la phénoménologie (2010), that one should consider neither a form of hermeneutical correction of phenomenology nor the necessity of a grafting between the two, but a phenomenology as hermeneutics and vice versa. While not opposing to all of Romano’s analysis, I would like to consider that such critique misses several aspects of the Ricoeur’s approach. An indirect exchange between Ricoeur and Romano would refer to a couple of issues and one main horizon: the first issue prepares the ground for an approach that reconnects the post-Heideggerian hermeneutics to the epistemological hermeneutics as well as to social-human sciences; another issue is pointing a renewal of phenomenology; both issues are seeking to define the nature of this relationship between phenomenology and hermeneutics.
Lelièvre Samuel, « Herméneutique du cinéma [Film hermeneutics] », séminaire L’interprétation en acte, EHESS, Paris (France), 12 juin 2020.
Résumé: Les orientations théoriques qui ont dominées les études sur le cinéma ne sont pas déterminées, d’une manière générale, par rapport à l’herméneutique ; elles ont même entretenu un préjugé négatif à son égard. En effet, les paradigmes sémiologique puis cognitiviste, tels que mis en œuvre dans ce domaine, tendent à réduire l’interprétation à une variable d’ajustement dans un discours de type fonctionnaliste visant ‘ce qu’est un récit filmique’ ou ‘comment on comprend un film’. Ces conceptions relèvent d’un déni du rôle effectif de l’interprétation et de sa complexité. Sur un plan théorique (propre à ce domaine), on trouve une tendance à engager un rapport à un ‘texte’ sans tenir compte des héritages de l’herméneutique sur ce point précis. Sur un plan épistémologique (rattaché au paradigme cognitiviste), l’interprétation est reliée à une compréhension en considérant que des règles subsument le rapport de la première à la seconde, quand une philosophie contemporaine de l’esprit post-davidsonienne, entre autres, accorde un rôle décisif à l’interprétation. Pour autant, l’idée d’une ‘herméneutique du cinéma’ a pu émerger depuis une décennie. Cette situation découle en partie des impasses évoquées précédemment. Pour autant, il reste nécessaire de distinguer l’intégration d’une approche herméneutique à l’explication et la compréhension du cinéma – par exemple dans Martin Seel, Die Künste des Kinos (2013) ou Daniel Yacavone, Film Worlds (2014) –, de l’application d’un modèle interprétatif-explicatif centrée sur une critique sociale – par exemple, dans The Geopolitical Aesthetics (1995), Fredric Jameson fait du cinéma le lieu où s’incarnerait une condition post-moderne (constitutif d’un capitalisme tardif) et de sa critique. Certains aspects de l’herméneutique ricœurienne pourrait contribuer à l’émergence d’une herméneutique du cinéma, que ce soit au plan général d’une mimèsis et d’une ontologie du cinéma, au plan spécifique des rapports entre cinéma, temps, et récit, ou même au plan d’une herméneutique du monde social, à travers la notion d’imaginaire social.
Abstract: Main theoretical orientations that ruled on film studies do not generally rely onto hermeneutics; they have even maintained a negative prejudice towards it. Indeed, semiotic and then cognitivist paradigms, the way that they have been implemented in this field however, tend to reduce interpretation to an adjustment variable within a functionalist discourse aiming at ‘what is a filmic narrative’ or ‘how do we understand a film’. These conceptions deny actual role to interpretation and its complexity. On a theoretical level (specific to this field), there is a tendency to engage with a ‘text’ without remembering of possible legacies from hermeneutics on this very issue. On an epistemological level (linked to the cognitivist paradigm), interpretation is linked to understanding by considering that rules subsume the relationship of the former to the latter, while a contemporary post-Davidsonian philosophy of mind, among others, grants a decisive role to interpretation. Nevertheless, the idea of a ‘film hermeneutics’ emerged over the last decade. This situation is partly the result of shortcomings such as previously mentioned. However, it is still necessary to differentiate the integration of a hermeneutical approach in explaining and understanding of film and cinema – for example in Martin Seel, Die Künste des Kinos (2013) or Daniel Yacavone, Film Worlds (2014) –, from the implementation of an interpretive-explanatory model based on and aiming at a social critique – for example, in The Geopolitical Aesthetics (1995), Fredric Jameson considers film as the site of embodiment to a ‘post-modern condition’ (that of late capitalism) and its critique. Some aspects of Ricoeur’s hermeneutics could contribute to this emerging film hermeneutics, whether on the general plane of a film mimesis and ontology, on the specific plane of connections between film, time and narrative, or even on the plane of a hermeneutics of the social world, through the notion of social imaginary.
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